Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

AMELIE D'OREYTE

En ce début de XVI ème siècle, la France sort à peine du Moyen Age. A ses frontières, la Maison d’Autriche saisit toutes les occasions de lui montrer sa force. Dans la belle Province de Béarn en particulier, les Espagnols de Charles Quint font périodiquement des razzias dans les bourgades les plus riches.
En cette année 1523, la région de Sauveterre est calme. La ville est prospère et ne craint apparemment rien derrière ses fortifications. A la sortie du vieux pont fortifié, demeure un libre laboureur, Jehan d’Oreyte, devenu riche en vendant ses fruits et légumes aux bourgeois de la ville. Il a eu cinq garçons et une fille, la petite Amélie, dont la mère est morte en lui donnant naissance. Elle a été élevée par sa tante de St Gladie, une brave femme qui l’a instruite et lui a appris l’art de la broderie. Mais dès qu’elle a eu seize ans, elle est retournée vivre avec son père, qu’elle aide a tenir sa maisonnée.
Gracieuse et vive, elle a le sourire mais aussi la répartie faciles. Son père, ses frères ne jurent que par elle et la vieille Manon, la servante, ne sait rien lui refuser. Au début, elle accompagnait son père à la ville, mais ses qualités de brodeuse ont rapidement été remarquées et les dames de la ville se l’arrachent. Elle est tellement occupée que parfois, le soir , à la fermeture des portes, elle est obligée de demeurer en ville chez une de ses amies, ce qui n’est guère du goût de son père.
Avec l’accord de la ville, le laboureur se rend de temps en temps à la porte des immondices, près de la tour de Domezain, pour charger un chariot de déchets, destinés à enrichir ses champs. Il a découvert à cette occasion qu’il pouvait entrer et sortir de la ville à l’insu de tous. Il a confié son secret à Amélie, qui en profite désormais le soir, malgré les odeurs puissantes qu’elle est obligée de côtoyer.
De temps en temps, Amélie va rendre visite à sa tante de St Palais, dont elle garde les oies, comme quand elle était petite. Ces braves gallinacés lui donnant peu de tracas, elle se livre souvent à l’occupation favorite des fillettes de seize ans, le rêve.
Un beau jour, alors qu’elle est plongée dans ses pensées, elle est distraite par les pas d’un cheval qui passe sur le chemin proche. Elle se lève si brusquement que le cheval fait un écart. Le cavalier se rattrape de justesse, mais reste muet de saisissement devant cette miraculeuse apparition, dont il devient immédiatement éperdument amoureux.
Le baron de Miossens, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un tout jeune homme, de belle prestance, rêvant plus souvent de batailles et de conquêtes que de bals et d’aventures d’alcôve. Ce jour là, il est allé rendre visite à un parent de Sauveterre et il retourne à Arros, où l’attendent ses hommes. S’étant quelque peu repris, il descend de cheval et s’approche de la belle toute rougissante. Il salue la gardienne d’oie, comme il saluerait une grande dame et après quelques minutes de conversation, il se rend compte que cette dernière n’a rien à envier à l’aristocratie féminine, qu’il connaît bien. Au bout d’une heure, il prend congé à regret en jurant de revenir et en lui faisant promettre, s’il en est besoin, de faire appel à lui, au château d’Arros où il doit demeurer quelque temps, avant de retourner à Coarraze, dont il est le seigneur.
La belle, habituée à côtoyer des garçons depuis son plus jeune âge, a su parfaitement comment se comporter, en la circonstance. C’est néanmoins infiniment troublée, qu’elle rentre chez son père. Celui ci la voit revenir avec soulagement ; le bruit court qu’un fort parti d’espagnols a été aperçu sur la route de Domezain et Sauveterre a déjà fermé ses portes.
Malgré ses protestations, il confie Amélie au frère cadet, en lui recommandant d’emporter des vivres et d’aller se cacher, dans la cabane de l’île de la Glère et de n’en bouger sous aucun prétexte, tant que quelqu’un ne sera pas venu les chercher.
Il était temps, car sitôt arrivés, ils entendent des coups de feu du côté de la ville. Pendant la nuit, ils aperçoivent le rougeoiement des incendies. Préoccupée par le sort de sa famille, Amélie aimerait bien se rendre à Oreyte, mais elle n’ose enfreindre les ordres de son père.
Ils vont rester ainsi plusieurs jours, bien cachés dans leur petite hutte, en économisant leurs vivres. Ce n’est que lorsque le calme est revenu qu’ils se décident à aller aux nouvelles.
C’est alors qu’Amélie apprend la mort de son père, abattu par les pillards, auxquels il a voulu tenir tête. Ses frères, qui n’ont pas réussi à persuader leur père de partir avec eux, sont revenus de St Gladie, où il les avait envoyés. Ils viennent d’enterrer leur père et n’ont pas pu prévenir leur sœur, ignorant où elle se trouvait. Ils ont ensuite tenté de réparer les dégâts occasionnés par la soldatesque.
Amélie apprend aussi que le siège de la ville est terminé et que Sauveterre a été obligée de se rendre. Les vainqueurs ont pillé et massacré et festoient dans la ville, servis par la population.
Folle de chagrin et le cœur débordant de haine, elle se rend en cachette chez son amie. Celle ci lui raconte en pleurant les pillages et les exactions des séides de Charles Quint, dont elle a été elle même victime. Elle dit sa honte des habitants, qui n’osent même plus réagir contre cette troupe étrangère, qui fait tous les soirs la fête dans la grande salle du château.
Amélie retourne songeuse chez elle. Le lendemain, elle demande à son jeune frère de seller deux chevaux et de l’accompagner dans un petit voyage qu’elle a décidé de faire. A son corps défendant, celui ci, voyant Amélie tout à fait décidée, consent à la suivre.
Deux jours après, les voilà arrivés au château d’Arros, où elle demande à être reçue par le baron de Miossens. Etonné, mais enchanté de la revoir, celui ci s’enquiert de la raison de ce déplacement. Amélie, en larmes, tombe à ses pieds et lui dit tout sur la prise de la ville, la mort de son père et son désir de vengeance.
Emu mais néanmoins refroidi par sa connaissance des murailles de Sauveterre, le baron tente de convaincre la jeune fille de la folie de son projet de reconquête de la ville. Elle lui confie alors qu’elle connaît un moyen secret de pénétrer dans la cité, qui permettrait à quelques hommes d’éliminer cette horde indisciplinée et trop confiante. Elle lui promet même de se donner à lui, s’il réussit à s’emparer de Sauveterre.
Après une nuit de réflexion, Miossens réunit ses soixante hommes et accompagné des deux voyageurs, il part au galop en direction de Sauveterre.
Le soir même de leur arrivée, ils suivent Amélie et pénètrent dans la ville par la porte des immondices. En une demi heure, ils investissent le château et en délogent les locataires à la pointe de l’épée. Les habitants prévenus se chargent de massacrer les espagnols encore vivants.
Moissens est immédiatement porté en triomphe dans les rues de la ville, tandis qu’Amélie rejoint discrètement sa famille, alors qu’on la cherche partout pour l’associer à la victoire. Le lendemain, le baron se présente chez elle. A sa vue, Amélie, les larmes aux yeux, le remercie et se déclare prête à le suivre. Emu par son désarroi, le jeune homme lui sourit et la félicite de sa bravoure. Il doit rejoindre Coarraze, où l’attend une future épouse. Il assure qu’il ne l’oubliera jamais et qu’elle en recevra la preuve sous la forme d’une dot substantielle, dont seront jalouses toutes les femmes de Sauveterre.
C’est ici que se termine l’histoire d’Amélie d’Oreyte, la jeune fille discrète et courageuse, dont beaucoup ont oublié qu’elle a sauvé la ville de Sauveterre.

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