Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

LEBEAUF

Lebeauf est grand et fort. Ses traits expriment une sorte de jovialité bovine. On y lit la certitude du lendemain et la joie de l’être bien nourri. Il arbore une panse avantageuse, modestement enveloppée dans un survêtement compatissant. Il avance en se dandinant, le front haut et le dos cambré, remettant d’instinct à sa place son centre de gravité.
Sa voix rassure les malentendants. Elle barrit des jugements définitifs ou tonitrue des vérités premières souvent de caractère météorologique. Le silence l’effraie; aussi déclare t’il préférer le bistrot à l’église.
Il est à cheval sur les bonnes manières. Pas question de cracher dans son mouchoir ou de « flatuler » devant un étranger.
Il est très tolérant à condition que chacun reste à sa place, les femmes à la cuisine et les noirs en Afrique. Il n’est pourtant pas raciste. Il adore faire rire son collègue arabe en l’appellant " crouillon ".
Il est pour la peine de mort. " Ça fera de la place dans les prisons pour tous ces jeunes voyous ".
La télévision est reine dans sa maison. A l’heure des jeux, le silence est de rigueur. Seul, il peut se permettre de glisser quelque commentaire approbateur ou instructif. Il ne se risque à manquer aucune émission sportive. Il rougirait le lendemain s’il ne pouvait émettre quelque appréciation lapidaire ou simplement railler l’ignorance de ses collègues.
Lebeauf a la main verte. Il le fait savoir dans le quartier. Il connaît la saison de l’oignon et celle de la tomate. La lune est toujours propice lorsqu’il sème et si les salades ne germent pas, c’est qu’il n’a pas plu à temps.
L’été venu, il dîne sur la terrasse, faisant généreusement profiter ses voisins du parfum de la saucisse grillée. Le repas est parfois agrémenté de quelque rot sonore, confirmant à la cantonade l’arrivée du liquide à bon port.
Au bistrot, l’autre jour, échauffé par quelques verres, il a saisi une bûche près du foyer et parié qu’il la briserait de ses mains. Sous le regard ébahi de ses commensaux et l’attention tendue de l’assistance, il a posé un pied sur une chaise, doucement levé le billot au dessus de sa tête, et d’un seul coup, il s’est cassé la jambe.

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