Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

AU LOUP

Cette année là, l’hiver commença tôt et fut particulièrement rude. Dès le mois de décembre, une neige épaisse avait recouvert le village et les contreforts environnants. De hautes congères bordaient les chemins et les rares chariots qui s’y aventuraient avaient de la peine à s’en dégager.
La bourgade semblait dormir. Les troupeaux demeuraient à l’étable, ruminant le foin engrangé l’été précédent. Et, tandis que leur maître empilait les bûches au dehors, les chiens, désœuvrés, surveillaient, près du feu, la marmite pendue à la crémaillère. Seuls, le tintement de l’enclume du charron et les cris des enfants jouant dans la neige troublaient le silence des rues.
Vers le soir, la vie semblait reprendre. Les femmes étaient souvent accueillies chez l’épouse du maire où, tout en bavardant, elles travaillaient à leur tricot et se mettaient au courant des derniers cancans. Les hommes se retrouvaient à l’auberge, où, le vin de pays aidant, ils se plaisaient à refaire le monde à leur goût.
C’est vers la mi janvier que le loup apparut pour la première fois dans les conversations. Un chasseur raconta qu’une horde avait été aperçue à proximité d’un village voisin. Chacun commenta la nouvelle, certains estimant que la faim pouvait rendre ces fauves dangereux, d’autres affirmant que le loup ne s’attaquait pas à l’homme.
Quelques jours plus tard, les nouvelles étaient plus alarmantes. Une vache était retournée seule à l’étable, un énorme morceau de chair pendant le long de sa cuisse. Tartorion, le chasseur, en concluait que c’était le résultat évident d’une morsure de loup.
Marcellin, qui, avec sa femme Catherine et ses trois enfants, habitait en lisière du village, commença à s’inquiéter. Il interdit à ses enfants de sortir après la tombée de la nuit et se rendit chaque soir à l’auberge à l’affût des dernières nouvelles.
Celles-ci ne tardèrent pas à pleuvoir, colportées le plus souvent par le grand voyageur qu’était ce fier à bras de Tartorion. Un jeune garçon était, disait il, rentré très tard chez ses parents, très inquiets. Il avait raconté, que poursuivi par un énorme loup, il avait réussi de justesse à se réfugier sur un pommier puis avait dû attendre très longtemps que la bête quitte enfin le pied de l’arbre.
Marcellin, en rentrant, chuchotait ces nouvelles à sa femme en lui recommandant la vigilance. Comme la plupart des clients de l’auberge en faisait autant, le loup était devenu le principal sujet de conversation. Plus on en parlait, plus sa férocité grandissait.
La langue déliée par les tournées offertes, Tartorion évoqua bientôt des disparitions, puis des traces sanglantes laissant soupçonner des massacres.
Le père Clovis, un brave moine qui enseignait le catéchisme aux enfants, tenta bien de calmer les esprits, en parlant de rumeurs, peut être sans réel fondement. Mais le mal était fait ; la crainte du loup s’installa dans le village. On se calfeutra dans les maisons et les hommes s’armèrent prêts à défendre leur vie et celle de leurs proches.
Et une nuit de janvier, ce fut le cauchemar. Quelqu’un cria « Au loup ! » dans la rue. Marcellin se vêtit rapidement, saisit son fusil et sortit en demandant à sa femme de verrouiller la porte après son départ.
Catherine entendit des cris et des coups de feu. Cela dura longtemps et elle eut bien du mal à rassurer les enfants.
On frappa enfin à la porte. Soulagée, elle repoussa le verrou pour accueillir son mari et fut très étonnée de voir le père Clovis, seul devant elle.
« Vous avez vu Marcellin ? » lui dit elle. « Ma pauvre Catherine, il y a eu un accident ! » « Où est mon mari ? » « On l’a transporté chez le maire ; c’était la maison la plus proche.» « Oh mon Dieu, le loup ! » « Oh non ! ma pauvre ! Lorsqu’on sème la peur, on récolte le mort. Quelle nuit de folie ! Des coups de feu partout ! Quand ça s’est arrêté, on n’a pas vu de loup, mais on a trouvé des chiens morts et puis, ton mari, grièvement blessé » . « Mais comment ? » « Un accident ; une décharge de chevrotine dans la hanche ; on ne sait pas comment c’est arrivé ! ». « Je veux le voir ! » « Va ! c’est pourquoi je suis là, je vais m’occuper des enfants ».
Marcellin a survécu, mais il boite bas désormais . Il a vendu son fusil et ne met plus les pieds à l’auberge. Il craint surtout de ne pouvoir retenir son poing devant la face hilare du chasseur Tartorion

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