Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

MARIAGE DE RAISON

On m’a raconté récemment une drôle d’histoire qui s’est déroulée , il y a quelques trois cents ans, dans une lointaine contrée des Pyrénées.
A cette époque là, même les paysans propriétaires vivaient chichement en exploitant du mieux qu’ils pouvaient des lopins de très faible surface. Comme tout propriétaire qui se respecte, ils rêvaient d’agrandir leur domaine, dans le meilleur des cas pour eux-mêmes, sinon au profit de leur descendance. Le moyen le plus courant consistait à marier les enfants.
C’est ainsi que deux laboureurs du pays, nous les appellerons les FERTRAND et les CABOL, pour éviter de désobliger leurs éventuels descendants, décidèrent par contrat de marier leurs fils et fille. Il faut bien dire que lorsque ce contrat fut signé, Antoinette FERTRAND avait huit ans et que Julien CABOL filait sur ses dix ans. Il fut convenu que le mariage aurait lieu huit ans plus tard; on précisa même que ce serait à l’époque des vendanges.
Quand la huitième année arriva, Adrien FERTRAND qui était devenu une sommité dans le village, rappela sa promesse à Alexis COBOL, lui même désormais paysan prospère. Ce dernier refusa tout net, alléguant que son fils avait vu un jour la demoiselle FERTRAND jouer " à tape nombril " avec un autre garçon du pays. Le père FERTRAND entra dans une colère folle, et criant à la calomnie, courut aussitôt porter plainte auprès du seigneur du lieu pour rupture de contrat.
L’application de la loi est dans un tel cas relativement simple. On désigne un expert pour vérifier les affirmations et le juge peut se prononcer. La nomination de l’expert posa cependant problème. Toutes les matrones susceptibles de faire l’affaire se récusèrent sous différents prétextes. Elles étaient en fait peu soucieuses d’indisposer la famille FERTRAND, connue à la fois pour sa générosité et pour sa capacité rancunière.
Il ne restait plus qu’à faire appel au curé. C’était un homme de bien, dévot et généreux, et en ces temps austères plutôt porté à l’indulgence. Ses formes dévoilaient l’amateur de bonne chère, mais ses connaissances médicales l’avaient rendu précieux tant pour les hommes que pour les bêtes. Après quelques hésitations bien compréhensibles, il accepta la mission.
Au jour prévu, il se rendit donc à la ferme FERTRAND. " Je viens pour ce que vous savez ", dit-il, après les congratulations d’usage. " Monsieur le curé, Antoinette vous attend la haut! ", lui fut-il répondu. Une auscultation rapide mais approfondie lui permit de se rendre compte de façon certaine que l’accusation de calomnie était sans fondement.
" Antoinette, déclara t’il d’un air chagrin, nous voilà tous les deux dans une situation désagréable. Si je dis ce qui est, ton père sera très en colère contre toi et risque de te déshériter. Je n’aimerais pas non plus qu’il soit fâché contre moi; j’ai toujours eu avec lui d’excellentes relations ". La patiente ne disait mot, se contentant de le regarder de cet air placide que l’on prête volontiers aux ruminants. Il poursuivit donc: " Si on considère le pour et le contre, je suis persuadé qu’un pieux mensonge vaut mieux que cent vérités " " Vous avez bien raison, Monsieur le curé ! " lui fut-il aussitôt répondu. " Certes ! " assura t’il, " mais il y a une opération délicate à entreprendre avant " " Et quoi donc ? " " Il me faut remettre en condition ce qui a été percé. C’est indispensable ! " " Faites pour le mieux, monsieur le curé ! "
Ce qui fut fait alors est couvert par le secret médical. La demoiselle obtint en tout cas son " nihil obstat " et le juge se prononça pour le mariage. La famille CABOL dut s’incliner.
L’union fut, semble t’il, heureuse puisqu’elle fut couronnée par la naissance d’un vigoureux héritier, qui, bien que quelque peu prématuré, montrait une assez nette tendance à l’embonpoint.

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