Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

L'ESPRIT SAIN

« In illo tempore… » En ce temps là, Ronsard jardinait, Malherbe ruminait, Rabelais guérissait. La religion était encore sereine et les moines érudits et bons vivants.
Prêcheur de son état, le père Théodore était connu pour son humour, la légèreté de son coude et la hardiesse de son langage. La réputation de son esprit n’était plus à faire dans les campagnes.
Veuve d’un laboureur, la mère Pégasse vivait seule avec sa fille dans une masure à l’écart du village. Elle était lavandière et Marion gardait les oies.
La fréquentation de cette race cacardière, glorieuse sans doute mais méprisée, n’était guère favorable à la pauvre Marion. Malgré la belle prestance que lui donnaient ses quinze ans, elle entendait souvent sa mère se plaindre : « Marion, tu manques d’esprit ; tu manques d’esprit ! ».
Ayant entendu dire que le père Théodore avait de l’esprit à revendre, Marion décida d’aller lui en acheter. Un dimanche après midi, elle mit ses plus beaux habits, emporta ses économies et partit à l’abbaye, à la recherche du moine.
Rapidement mis au courant par le frère portier de cette visite inattendue, à l’heure des Vêpres, celui ci décida que le service du Seigneur pouvait attendre et se rendit au parloir.
Bien qu’impressionnée par la carrure du prêcheur, Marion lui adressa sa requête. « Mon père, je n’ai pas beaucoup d’argent mais j’espère que vous pourrez me vendre un peu d’esprit » « De l’esprit, dis tu ? » « Oui ! on m’a dit que vous aviez de l’esprit à revendre et ma mère dit que j’en manque. » ; « Ma foi, tu vas constater tout de suite la présence d’esprit. Suis moi ! »
Il conduisit la jeune fille dans sa cellule et ferma soigneusement la porte.
Quelques temps après, un jeune novice qui passait dans le couloir entendit, lui sembla t-il le père Théodore ahaner : « Voici han de l’esprit, han de l’esprit, han de l’esprit .. ! » Tout à fait édifié, le moinillon déclara au père portier : « Tu sais, nous connaissons mal le père Théodore : je l’ai entendu tout à l’heure se flageller en invoquant l’Esprit Saint !
Lorsque le moine fit sortir Marion, celle ci encore un peu émue du cadeau qu’on venait de lui faire déclara : « Je vous remercie de m’avoir donné gratuitement de l’esprit. Pourrai-je revenir s’il venait à m’en manquer encore ? » « Eh bien ! Je constate que l’opération a réussi ! Reviens quand tu le souhaites ! »
Elle revint, paraît il, assez souvent car l’esprit, c’est bien connu, n’est pas fait pour demeuré.

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