Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

DENTS DE LAIT

Sur les conseils de sa maman, Sophie avait caché sa première dent sous son oreiller. Le lendemain, elle avait trouvé à la place une pièce de monnaie, ainsi que deux livres d’images.
« Mais qu’est ce que la souris peut bien faire avec ma dent ? » se disait elle. Elle alla poser la question à sa maman, une maman étant bien sûr au courant de tout.
« Je vais te raconter ce qui est arrivé à un de mes petits amis quand nous avions ton âge », commença celle ci. « Imagine-le ! Il fait nuit ; comme prévu, il a placé sa dent sous son oreiller, mais il a juré qu’il ne dormira pas avant d’avoir vu la souris. »
La nuit est bien avancée quand il se trouve nez à nez avec la petite souris, qui le regarde curieusement avec, lui semble t-il, un petit sourire. A son grand étonnement, elle se met à parler : « Ça t’intéresserait de savoir ce que je fais de ta dent ? » « Oh oui ! bien sûr ! » répond- il. « Eh bien ! Suis-moi ! » « Mais, comment vais je faire ? » « Ne t’inquiète pas ! Tu te lèves et tu me suis ». La souris glisse sa patte sous l’oreiller et se prépare à repartir. « Allez ! Allez ! » dit-elle, en rangeant quelque chose, sans doute la dent, dans la musette qu’elle porte en bandoulière.
Bastien, c’était le nom de mon ami, se lève et remarque, stupéfait, qu’il s’est transformé en souris. Sans plus réfléchir, il suit sa nouvelle collègue. De la chambre, ils passent dans la cuisine où il remarque un petit groupe de souris, transportant un paquet. « Elles livrent ton cadeau !», chuchote sa nouvelle amie, « allons suis-moi ! Suis-moi ! »
Très rapidement ils se faufilent dans un trou, bien caché près du réfrigérateur. Après ce qui lui paraît une très longue marche dans l’obscurité, ils débouchent sur une rue pavée de gris et bordée de toutes sortes de maisons très colorées. Il y en a des rondes, des longues, des hautes en forme de tartine et des bizarres ressemblant à des patates. Les portes et les fenêtres sont de simples trous, comme on en met dans le gruyère avant de garnir de fromage tout autour.
« Bonjour Sourisette, tu t’es enfin trouvée un copain ? »s’écrie une grosse souris en continuant à balayer devant sa porte. « Bonjour, madame Sourikiki. J’ai ramené Souriant, un ami de là haut, pour une visite de Souriville ». « C’est une bonne idée ! Souriville mérite d’être connue. Et as-tu fait une bonne affaire ? » « Oui ! Je rapporte une nouvelle dent, une première dent. » « Oh ! Bravo ! Tu as bien de la chance. La princesse va être contente et tu auras une belle prime. Bonne visite et bonne journée » « Merci madame ! Au revoir ! »
Bastien - Souriant, interroge son amie : «De quelle princesse parle-t-elle ? » « De Souriquette, la fille du roi. Les premières dents, les plus belles, sont réservées à la famille royale et la princesse adorait les bijoux « dents de lait », mais plus maintenant, je crois. Madame Sourikiki est gentille mais aussi un peu jalouse ; elle n’a pas les moyens de s’acheter cette sorte de bijoux, qui sont très chers. Allons viens ! Il faut que je livre mon colis à la poste du roi. »
Après avoir parcouru la rue Paderat et la rue Chadehors, bâties sur le même modèle, elles arrivent toutes deux sur la Place Royale, au bout de laquelle on aperçoit une bâtisse étrange, faite de cinq boites rondes superposées, de la plus grande à la plus petite placée tout en haut et surmontée d’un mât portant ce qui ressemble à un chapeau pointu. « C’est le palais ! » affirme fièrement Sourisette « nous nous y rendrons tout à l’heure ; pour l’instant voici la poste ».
Le bâtiment de la poste a la forme d’une boite aux lettres renversée, avec le trou en bas, bien sûr, pour servir d’entrée. Derrière le comptoir est assis un personnage, habillé d’un costume trois pièces, la queue négligemment glissée dans une poche de poitrine. Il arbore des bésicles scintillantes et une incisive d’une blancheur remarquable. « Bonjour monsieur Souriposte ! » s’écrie Sourisette « votre dent est magnifique. Vous avez dû la payer cher. » « C’est vrai que les dents de lait sont hors de prix. Mais j’ai pu me procurer celle-ci à pris coûtant, grâce a mon neveu qui est contremaître à la fabrique. Disons que la chance m’a souri. Mais que me rapportez-vous, cette fois ci, ma chère Sourisette ? Et qui est votre ami ?». « Je vous présente Souriant un visiteur de là haut ; c’est lui qui m’a procuré la dent de lait, sa première, s’il vous plait » Sourisette retire alors la dent de sa musette. « Bravo ! Bravo ! Oh ! Elle est magnifique. Quelle pureté ! Au moins 19 casouris. Je la pèse et je vous fais le reçu. Je vais la faire livrer à la fabrique tout de suite. »
Après leur sortie, Bastien interroge son amie : « Qu’est ce qu’ils vont fabriquer avec cette dent ? » « Ah ! La fabrique ; c’est ainsi qu’on appelle ici les ateliers où on travaille les dents, pour les mettre en valeur et en faire des bijoux. On ira la visiter un peu plus tard. Pour l’instant, j’ai faim et je t’invite à un petit encas. »
Ils passent par la rue du Chèvre chaud et arrivent sur la place du marché. Il y a un monde fou : des souris vendeuses, des souris ménagères, des souris qui trottent, des souris qui frottent, des souris pressées, des souris bavardes, des souris qui crient, des souris qui rient,. On y perdrait la tête. Heureusement Sourisette se dirige vers un local en forme de bocal renversé. Tout en haut, on peut lire « A la souris qui sourit ». Ils entrent et s’installent sur des chaises rondes comme des balles de tennis ; ces sièges s’avèrent très confortables …pour les clients à quatre pattes, comme eux. « Ce qu’ils ont de meilleur ici comme boisson, c’est le sourifraise, mais c’est un peu fort. Sinon il y a le sourigolo, qui n’est pas mal. D’accord ? Riri ! Deux rigolos et des noisettes, s’il te plait ! » Quelques instants plus tard, une souris verte apporte la commande sur un plateau. « Bonzour Zézette ! » gazouille t’elle « z’est un zoli gobain que t’as là ; qui z’est ? ». « C’est un étranger ; il vient de là haut ! » « Welgomme à lui ! » crie t’elle en partant. « Drôle de serveuse ! » chuchote Bastien - Souriant - en dégustant son sourigolo. « Oui ! elle zozote depuis qu’elle s’est accidentellement trempée dans l’huile et qu’on l’en a sortie en l’attrapant par la queue ». « La pauvre ! » commente Souriant.
A la droite du palais, vers lequel ils se dirigent, une demi-heure plus tard, on aperçoit une haie de grands cylindres, ressemblant à des orgues énormes, dont chaque tuyau serait un bâtiment à lui tout seul. C’est la fabrique, la fameuse usine dont est particulièrement fier son directeur, le comte Souridé. Il accueille personnellement nos deux amis, ce qui est un grand honneur ; il faut dire qu’il est le grand père de Sourisette et qu’il ne lui refuse rien.
Il leur montre d’abord la pièce où sont stockées les dents de lait. Les premières dents qu’on appelle ici les « spéciales cinq ans », sont rangées, une par une, dans des sachets de velours. Elles sont destinées à l’atelier royal, dont la responsable, madame Souriche, vient les chercher en fonction des besoins. La pièce, comme tout le bâtiment, est bien sûr sous la surveillance des souricates, des gardiens spécialisés, formés aux arts martiaux, commandés par le vicomte Sourisque.
Les autres dents de lait sont classées par ordre de valeur, les cinq ans ordinaires étant par exemple supérieures aux sept ans. Il existe aussi des fausses dents, créées par des artistes de talent et qui font illusion, si on n’y regarde pas de trop près. « La demande est très forte », explique le directeur, « nous sommes obligés d’en venir à ces solutions de remplacement. Nous avons aussi un service de recherche des dents de lait qui sont jetées, mais il ne rapporte pas grand chose. Tous les enfants, hélas, ne nous offrent pas leurs dents. Quand vous retournerez chez vous, monsieur Souriant, je vous en supplie, essayez de les convaincre. Dites leur bien que leurs dents ont une nouvelle vie et que tout notre peuple leur est reconnaissant. »
Nos deux amis suivent ensuite leur guide dans les différents ateliers. Ils y découvrent de véritables artistes, qui mettent en valeur les dents de lait dans des dentiers, des broches, des bagues, des colliers etc. « Je n’ose pas vous dire le prix de celui là ! » leur déclare le comte en leur montrant un collier ; « ce sont des cinq ans ordinaires montées sur un support en argent. Voyez en comparaison ce collier de fausses dents sur une monture en or ; avouons qu’il fait piètre figure auprès de l’autre. Mais il faut de tout !» soupire t’il. Bastien ne dit rien, mais pense in petto qu’il aurait préféré le faux. Il est vrai qu’il n’y connait pas grand-chose.
Après avoir refusé le sourigolo proposé par le grand père, nos deux amis le remercient et se dirigent vers le palais.
A gauche de l’entrée, on trouve le service information. C’est là que parviennent les renseignements sur les enfants, fournis par les souris de terrain. La souris envoie un message indiquant le nom, l’âge, l’adresse de l’enfant et la qualité de la dent (première, deuxième etc.).
Ce service est très important et le roi lui-même s’y rend souvent en inspection. Gare aux retards et aux erreurs de transmission ! Certains, dans les oubliettes, méditent sur leur paresse ou leur négligence.
Le service de ramassage, dont fait partie Sourisette, est ensuite alerté et la ramasseuse est désignée. Il ne lui reste qu’à composer son équipe, se procurer les cadeaux à la boutique et se rendre à l’adresse indiquée. Monsieur Souricin, le directeur du ramassage, n’est pas commode et il ne tolère aucune erreur. La perte d’une dent par négligence est considérée comme une faute grave. Mais l’équipe est très sérieuse et mérite sa confiance.
Le roi Samasouris est un homme avenant quand il n’est pas en colère. Il est bien sûr au courant de la venue de …Souriant et il a accordé une audience à nos deux amis, en présence de la famille royale. Souriant est très intimidé. Le roi a un gros ventre, une couronne en dents et deux magnifiques incisives « premières dents de lait ». La reine Souritournelle est encore très belle à son âge, mais elle a un air sévère que le lourd pendentif denté qu’elle porte n’arrange en rien. Le prince Sourideau qui arbore une bague et une gourmette à dents, a l’air de s’ennuyer ; il reste là par politesse, mais on le voit bailler en cachette. Bastien trouve la princesse Souriquette très grâcieuse avec son diadème en or. Elle ne porte aucune dent de lait. Dommage qu’elle ait un air renfrogné ! « Souris ! » lui dit sa mère « avec tes idées anti dents de lait, tu fais rire tout le monde. Pardonnez lui, monsieur Souriant, vous qui venez de là haut, vous devez être sage et obéissant. » « Le plus souvent possible ! » Répond-il en rougissant, autant qu’une souris puisse rougir. La princesse lui fait alors un clin d’œil, ce qui le fait encore plus rougir.
Heureusement le duc Souridicule, Premier ministre, intervient :
« Au nom du roi et du peuple de Souriville, nous vous remercions pour toutes ces dents de lait que vous nous offrez et qui nous permettent d’arborer ces belles parures que vous avez pu contempler. Nous comptons sur vous pour nous en envoyer encore »
« Merci pour cette agréable visite et merci de tout cœur pour les cadeaux que vous nous faites en retour » répond Bastien-Souriant. Et Souridicule de rajouter « Et surtout n’oubliez pas ces premières dents que nous admirons tant sur la tête, le corps et les mains bénis de nos souverains. « « Bien sûr ! Je vous en réserverai personnellement deux ou trois !» réplique Souriant en souriant dans sa moustache. « Ridicule ! » chuchote Sourisette en regardant le ministre. « Il ne changera jamais celui là ! »
En entendant ces mots, Bastien éclate de rire, sous les yeux étonnés de sa mère qui vient le réveiller pour partir à l’école.

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