Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

UNE HISTOIRE INCROYABLE

J’ai rencontré hier un ami que j’avais perdu de vue depuis plusieurs années. Attablés dans l’auberge du village, nous avons évoqué quelques souvenirs communs, parlé de notre vie, notre famille, notre travail.
Mon ami est pigiste pour un grand journal et, à l’occasion, il écrit des nouvelles à tendance fantastique. Certaines ont été publiées avec un certain succès auprès des amateurs du genre.
Ce jour là, il m’a raconté une drôle d’histoire, mais avec un tel accent de sincérité, que mon scepticisme naturel en a été ébranlé.
Comme tu le sais, a t’il commencé, j’aime bien de temps en temps, lorsque je sens ma muse en bonne forme, m’installer seul dans un coin pour écrire. Cette année là, j’avais loué, dans un petit village d’Auvergne, une petite maison confortable, isolée, à la lisière d’une grande forêt.
J’avais l’habitude, avant de me mettre au travail, de faire une longue promenade dans le bois. La forêt, bien entretenue, était parsemée de nombreux layons, réservés aux marcheurs et aux cavaliers.
A l’heure où je m’y rendais, elle était le plus souvent déserte et j’en profitais pour faire une pose sur la mousse épaisse d’une jolie clairière, découverte par hasard.
Un matin, prêt comme d’habitude à y prendre mes aises, je découvris le corps d’un homme à demi nu, recroquevillé au pied d’un grand chêne. Il était sale et les quelques bouts de tissu qui le couvraient ne méritaient pas le nom de vêtement.
Avant de courir chercher des secours, je m’approchai pour me rendre compte de son état, craignant d’avoir affaire à un cadavre. A ma grande surprise, il respirait paisiblement et ne portait apparemment aucune blessure. C’était un jeune garçon, de dix sept, dix huit ans, encore imberbe, mais doté d’une musculature impressionnante.
Je posai la main sur son épaule, le secouai doucement, puis plus vigoureusement. Avec un sursaut de frayeur, il recula en s’adossant au tronc de l’arbre.
« Qui êtes vous ? » me demanda t’il d’une voix rauque. « Ce serait plutôt à moi de vous poser la question. Je viens dans cette clairière, chaque matin, depuis une semaine. C’est la première fois que je vous vois et vous ne ressemblez pas à un paisible promeneur. » « Excusez moi, j’ai été surpris quand vous m’avez réveillé. Je me suis égaré hier soir dans un coin de la forêt que je ne connaissais pas. Je suis tombé dans un fourré ; j’ai eu du mal à en sortir et vous voyez dans quel état. J’étais si fatigué, après avoir erré un moment dans les bois, que j’ai trouvé cette mousse accueillante et que je m’y suis endormi. »
J’étais plutôt sceptique mais je veillai à ne pas le lui montrer. « J’habite au village de Moutis, continua t’il, citant ainsi le nom d’une localité voisine. Il faut que je parte ; mes parents pourraient s’inquiéter. » « Inquiets ? Ils le sont sans doute déjà. Vous pourrez leur téléphoner de chez moi. J’habite tout près. Je vous trouverai aussi de quoi retrouver une allure plus décente. »
Après m’avoir remercié, le jeune homme se leva pour me suivre. Je me rendis compte alors qu’il avait une bonne tête de plus que moi, qui ne passe pourtant pas pour un gringalet.
Dès qu’il eut rassuré ses parents puis pris un bain, il enfila un de mes vieux pantalons, qui lui arrivait à mi mollet, ce qui, semble t’il, lui rendit sa bonne humeur.
Après avoir ensemble bu un café, je lui proposai de la ramener. Il refusa, assurant que ce n’était pas loin et qu’un peu de marche lui ferait du bien.
Il n’avait cependant pas l’air pressé de partir. Il se tenait devant moi, immobile et le front soucieux. « Vous semblez préoccupé ! lui dis-je. » Il finit par avouer : « Je sais que vous ne m’avez pas cru ce matin et vous aviez raison. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive. Depuis quelques mois, assez rarement heureusement, je suis sujet à de graves crises de somnambulisme. Je me retrouve le matin dans cet état, assez loin de ma maison, et ne me souviens de rien à mon réveil. Je suis parvenu jusqu’ici à le cacher à mes parents. Quand la crise va arriver, je le sens, quelques heures à l’avance,. Alors je m’y prépare en sortant le soir. C’est la quatrième fois que ça m’arrive et je crains que mes parents finissent par s’en rendre compte. Et ça, je ne le souhaite pas. Je ne sais vraiment pas quoi faire. »
A la fois perplexe et curieux, intéressé par ce cas bizarre, sans doute assez rare, je lui proposai de l’aider : « Je pense qu’il faudra recourir aux soins d’un médecin. Mais il serait préférable de pouvoir lui décrire les symptômes avec précision. Je vous propose de venir chez moi à l’approche d’une crise. Vous vous installerez dans la chambre d’amis et j’essaierai d’observer ce qui vous arrive ; ma caméra pourrait aussi se rendre utile. »
Il accepta en me remerciant et me quitta apparemment rassuré.
Le temps passa et j’avoue que j’oubliai cette étrange visite. Je me préparais à quitter la région, lorsqu’un soir, près d’un mois plus tard, il frappa à ma porte.
« Je crois que le moment est venu », me dit-il en me serrant la main. Je l’installai dans la chambre d’amis et préparai ma caméra, décidé s’il le fallait à veiller toute la nuit.
Je m’installai dans un fauteuil avec un livre, prêt à empoigner l’appareil, que je gardais à portée de main.
Vers onze heures, je fus alerté par un choc, suivi d’un grognement. Je déclenchai la caméra et approchai, à pas de loup, de la porte, que nous avions convenu de laisser entr’ouverte.
Je demeurai pétrifié. Ce que je voyais était impossible. La veilleuse allumée, comme prévu, créait dans la chambre des ombres fantastiques. Le garçon, debout au pied du lit, semblait subir une métamorphose. Je compris que ce n’était pas une illusion. Il se transformait réellement.
Le dos s’arrondissait, les bras et les jambes s’allongeaient. Il tomba à quatre pattes en grondant et tous ses membres continuèrent à évoluer, jusqu’à ce qu’il ressemble à un énorme loup noir.
Ses oreilles dressées durent m’entendre, car il tourna vers moi sa grande gueule rouge. Il sauta ensuite par la fenêtre entr’ouverte et disparut dans la nuit.
Ne sachant que faire, j’arrêtai la camera, qui s’était contentée de filmer le plancher. Je rangeai la chambre et ramassai les haillons, qu’il y avait abandonnés. Me souvenant de ma promesse, je décidai de me rendre à la clairière, espérant que ce pauvre garçon finirait par s’y réfugier pour y finir sa nuit.
La lune était levée et on y voyait presque comme en plein jour. Lorsque je parvins à destination, il n’y avait pas trace de lui. Je m’installai sur la mousse pour attendre, non, je l’avoue, sans quelque appréhension.
Je m’étais, malgré tout, assoupi, lorsqu’un léger bruit attira mon attention. J’aperçus la silhouette du loup qui entrait dans la clairière. Je ne pus m’empêcher de faire un mouvement brusque. En trois bonds, il fut sur moi, les griffes enfoncées dans mes épaules et les crocs à deux doigts de ma gorge. Je poussai un gémissement. Je vis alors deux yeux jaunes terrifiants se couvrir subitement de larmes. Il fit un bond en arrière et se sauva en poussant un hurlement de fauve. Je ne le revis plus jamais.
Le lendemain, alors que je déjeunais à l’auberge, j’entendis un chauffeur routier raconter qu’à la levée du jour, il lui semblait avoir écrasé un énorme chien, mais qu’il l’avait cherché en vain.
J’avais repris mon travail sans parvenir à oublier cette funeste aventure, lorsque trois mois plus tard, je reçus une lettre d’Olivier, le jeune homme dont je viens de te parler. Il avait trouvé mon adresse en s’adressant à l’auberge du village. Il s’étonnait de mon silence et me disait n’avoir gardé qu’un vague souvenir de notre soirée. Il me racontait qu’au cours de sa crise, il avait dû avoir un accident. Il s’était réveillé dans notre clairière avec une énorme plaie à la tête, qu’il avait eu du mal à expliquer à ses parents. Depuis ce jour là, m’assurait-il, il n’avait plus eu aucun problème de somnambulisme.
Lorsque mon ami eut terminé son histoire, je le regardai en souriant : « Dommage que tu aies oublié de faire fonctionner ta caméra » « C’est vrai, mais au fond, c’est préférable. Si je lui avais montré une vidéo de ce qu’il lui est arrivé, il aurait eu une autre crise, mais cardiaque cette fois. »
Je le quittai dans un éclat de rire.

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