Lacroutz d'Orion

Lacroutz d'Orion
La maison de Lacroutz

mercredi 15 juillet 2015

LE NAIN

Vous êtes vous déjà promené en ville le dimanche matin de bonne heure? Vos pas résonnent comme dans une église. Vous avez l’impression que les rues vides vous appartiennent. Et le parfum de croissant chaud qui parfois monte à vos narines, ne fait que conforter votre sensation de bien être. Je flânais donc en ville, un dimanche matin, lorsque je fis cette étrange rencontre.
En débouchant de la grande rue centrale sur la place de la mairie, j’aperçus, planté au beau milieu, un magnifique danois, un de ces énormes chiens blancs tachés de noir, hauts sur pattes, dotés de longues oreilles bien droites et d’une mâchoire impressionnante. Ce magnifique spécimen de la race canine semblait poser pour un quelconque sculpteur. Toutefois le qualifier de cabot aurait été lui faire injure, me sembla t-il, tant sa prestance avait l’air naturel.
J’adore les chiens et, en général, ils ne m’inspirent aucune crainte. Intrigué par cette immobilité solitaire, j’approchai calmement, le sourire aux lèvres et prêt à émettre quelque bruitage lénifiant. Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir un fier personnage, campé les mains sur les hanches, le dos cambré, mais le front atteignant à peine l’omoplate de notre danois. Vêtu d’un costume sombre bien coupé, la barbiche haute, l’air condescendant, le nain, je dois l’avouer, m’en imposait.
" Bonjour monsieur ", lui dis-je un peu gêné, " votre chien est magnifique et je me suis approché pour mieux l’admirer ". " Et c’est alors que vous m’avez aperçu. Je dois dire que vous êtes un cas exceptionnel. En voyant le chien, les gens ont plutôt l’habitude de passer au large. "Je pense " continua t-il " que vous avez remarqué ma taille". Autrefois on me montrait du doigt comme une curiosité ou on me côtoyait en faisant semblant de ne pas me voir. Evoluer le nez à hauteur de l’entrejambe de la population n’est pas une sinécure, surtout en période de grosses chaleurs " " Mais tout de même, monsieur, le coupai-je, la grandeur ne se mesure pas à la taille! " " Oh que si ! "s’ exclama t’il, " mais pour moi, c’est à la taille de mon chien. Cela me permet à la fois de me faire remarquer, de me faire respecter et parfois d’avoir comme aujourd’hui une conversation agréable ". Je m’inclinai pour le remercier et remarquai alors la laisse que le petit homme tenait d’une main ferme.
" Vous ne vous laissez jamais emporter par votre chien ? ", l’interrogeai-je d’un air faussement naïf. " Il craint trop la correction " affirma t’ "Il sait qu’il doit m’obéir au doigt et à l’œil ! Ténor ! " Le chien émit un son caverneux et puissant: " Whouff !!! " " Je dirais plutôt Basse !» remarquai-je, le sourire aux lèvres " Non ! vous avez dû mal voir ! La haute c’est lui, la basse c’est moi ! " Sur cette explication péremptoire je restai muet.
Il s’inclina alors profondément, grimpa sur son chien et s’éloigna au petit trot.

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